vendredi 25 février 2011

Erik Kriek

Shadows over my... drawing table

Le talentueux Erik Kriek a commence une BD dédié au Cauchemar d'Innsmouth.

Peu d'informations si ce n'est que les planches de brouillon et celles finalisées semblent plus qu'alléchantes. Le traitement en noir et blanc, et les références aux comics américains des années 50,  collent très bien à cette histoire,  parue dans un pulp rappelons le et ou ce genre d'illustration était faite pour attirer le chaland.  C'est réussi, et on attends la suite avec impatience...

A priori cela sera selon les informations glanées sur le blog, ce sera une BD qui comportera d'autres nouvelles de Lovecraft et devrait  faire dans les 100 pages. Que du bonheur pour les Innsmouthmaniaques.

Images
 
Voir aussi le site personnel d'Erik et son portfolio absolument fantastique, dans toues les sens du terme: http://www.gutsmancomics.com/

jeudi 24 février 2011

Cthulhu

Un film Cthulte?

Cthulhu, réalisé en 2007 par Daniel Gildark, est aux antipodes des films "Lovecraftiens" habituels. Pas d'effets gore, un rythme lent, et un parti pris qui en a dérouté plus d'un, le héros étant... homosexuel. Ce détail suscita de nombreuses réactions, très bêtes, dithyrambique ou... assez négatives il faut le dire, et  entraina aussi un malentendu qui a nuit à la réputation et à la diffusion du film en salle, en France notamment.

Le héros du film est gay car, c'est un film...gay (même si le réalisateur à un autre point de vue - voir les liens en bas de page), plutôt militant, distribué et coproduit par Here Films spécialisé dans le genre gay, lesbien et bissexuel. C'est aussi un film fantastique indépendant la maison de production Regent Releasing étant spécialisée quand à elle dans ce type de cinéma. Une simple visite sur les sites des producteurs aurait permis peut être de regarder le film autrement, avec un esprit plus ouvert et se concentrer sur les qualités filmiques de l'œuvre et les intentions premières des auteurs par rapport à la nouvelle originale.

 
L'histoire

Un professeur d'histoire, gay et vivant à Seattle retrouve sa famille sur la côte de l'Oregon à...Rivermouth, dont il est séparé depuis des années afin de remplir les dernières volontés de sa mère morte depuis peu. Il en était parti car en désaccord avec son père, devenu grand prêtre d'une secte locale New age et apocalyptique qui réprouve son homosexualité et qui aimerait lui passer le flambeau au sein de la secte. Elle lui a laissé une cassette vidéo lui annonçant qu'une malédiction pèse sur toute la lignée mâle de la famille, ces derniers mourant jeunes et disparaissant le 1er mai et cette date approche...

Dans une note Dan Gildark parle de la thématique principale du film :

"Ce vers quoi Grant [le scénariste n.d.t] se tourna vers était un livre qu'il avait lu lors d'un voyage à travers le pays quelques années auparavant: les œuvres complètes de H.P. Lovecraft. Les sentiments que nous avions aujourd'hui ont été les mêmes que ceux qu'il avait connu pendant la lecture de ces histoires;  l'idée qu'il y a des force à l'œuvre dans cet univers bien au-delà de notre contrôle et de notre compréhension. Nous avons suque faire un film à partir de ce matériau, aurait été une histoire ou tout le monde pouvait s'identifier. L'histoire qui nous a sauté aux yeux était le "Cauchemar d'Innsmouth", une histoire de  retour à la maison et qui reflétait l'expérience de beaucoup de nos amis qui étaient gays ou artistes, ou les deux, et qui avaient quittés la maison dès qu'ils le pouvaient. Ne collant pas avec leur environnement, ils ont fuis vers les grandes villes et trouvèrent des gens partageant les mêmes idées et ont formés de nouvelles familles et des alliances. Finalement, ils ont été rappelés à la maison quand quelqu'un dans la famille  était mort ou  marié ou tombé malade et ils ont du retourner vers  tout ce qu'ils avaient, à leur avis, laissés derrière eux. Pour Lovecraft la chose la plus terrifiante imaginable était l'inévitable horreur de l'hérédité - de ne pas pouvoir échapper à qui vous êtes et à ce qui est dans votre sang. Donc, ce film se déroule dans un monde sur le point de se désagréger; la vraie terreur découlant de ne pas avoir le contrôle sur qui nous sommes vraiment. Bien que notre situation politique est inséparable de l'art, le film à sa base reste "encore" une histoire d'un retour à la maison."

Maudite hérédité

Les thèmes Lovecraftiens de l'histoire sont ainsi habilement transposés à notre époque  et le film développe cet aspect de la malédiction de l'hérédité, ici une hérédité non pas pathologique ou génétique mais sociale: la pression familiale et communautaire sur un de ces membres réprouvé car homosexuel qui perds une fois de plus ses repaires dans une ville et une vie ou il n'en n'avait franchement pas. Pas d'allusion à une (prétendue) homosexualité latente de Lovecraft ou une vengeance envers l'auteur qui ne portait pas la communauté gay dans son cœur (entres autres communautés) comme j'ai pu le lire, mais une habile déviation sur ce thème du retour  et de la malédiction héréditaire traité d'une facon.... moderne tout en gardant la trame de la nouvelle. Cthulhu donc n'est pas une adaptation fidèle du Cauchemar d'Innsmouth on l'aura compris,  ce qui a pu gêner les fans.


Independant gays

Qui dit production indépendante dit peu de moyens mais Gildark s'en tire haut la main grâce à un scénario intelligent, une caméra alerte, un rythme lent qui sert le film, un très bon casting (Jason Cottle entre autre qui joue à merveille le rôle de ce professeur dont la vie bascule vers l'horreur et Torri Spelling en guest star surprise plutot habituée aux séries pour ados, décriée,  là aussi dans ce film, et très bêtement, ou elle tient parfaitement son personnage), une photo irréprochable et surtout le choix de la ville de Rivermouth, en fait la ville d'Astoria, dans l'Oregon, sur la cote nord ouest des États-Unis, et donc à l'opposé de l'endroit ou est censé se passer la nouvelle (Newburyport est dans le Massachusetts et sur la cote nord est du pays). Un choix plus qu'intelligent car l'atmosphère, les décors naturel  de la ville, le Pacifique aux vagues démontées, sont  pour beaucoup dans la réussite de  film. Astoria est Innsmouth.

Torri Spelling et Jason Cottle
La tension de l'hsitoire monte crescendo et Gildark grâce a tout ce que nous avons pu dire précédemment nous amène vers la conclusion sombre du film, fidèle à la nouvelle. Les scènes de cauchemars sont particulièrement réussies comme celle de la découverte par le héros des "œufs" de profonds ou encore la scène de l'appartement avec le petit garçon qu'un David Lynch n'aurait pas reniée. Pour ma part rien à jeter dans Cthulhu qui tout en n'étant pas un film Lovecraftien "pur" (c'est quoi au fait?), transmet à merveille l'atmosphère de la nouvelle tout en abordant des thématiques modernes sur la difficulté d'être soi, et l'impossibilité d'avoir le contrôle sur quoi que ce soit ce monde moderne en roue libre qui se déchire et nous entraine vers les abysses.

En ce sens Cthulhu reste, est,  un film Lovecraftien.

Conclusion

Intéressant, sur l'excellent site, Schizodoxe et dans la non moins excellente section: la Fosse aux Shoggoth, une critique: négative, tempérée quelques jours plus tard par une positive, plus ou moins et  qui donne un petit aperçu des interrogations que suscita ce film. Un conseil: allez voir par vous même de quoi il retourne!

Le DVD est en vente sur différents site, souvent en VO non sous titrée malheureusement, mais on peut trouver les sous titres sur la toile (et quelques DVD Zone 2) et bidouiller le tout sur son ordinateur ou en évoquant le Nécronomicon ;0)

Liens
Jason Cottle en mauvaise posture

mercredi 23 février 2011

Newburyport - La gare


Un voyage intérieur
 
Nous avons nous aussi entrepris de refaire, virtuellement, le périple de Robert Olmstead vers Innsmouth, en nous basant sur les écrits des explorateurs nous ayant précédés, les cartes existantes et  bien sur la nouvelle de Lovecraft. Le but? Non pas "retrouver" la terrible cité mais identifier à travers une exploration systématique, géographique et historique,  qu'elle était  la part de réel et la part d'imaginaire dans la nouvelle. Et enfin en fouillant aussi, dans les lettres et les biographies de Lovecraft, déterminer quels étaient les pans de sa vie qui furent "inclus" dans le récit.

Le début de l'exploration: les visites de HPL

Innsmouth est née de plusieurs visites qu'effectua Lovecraft entre 1923 et 1931 à Newburyport (Massachusetts). Le 29 avril 1923 avec sa tante, en octobre 1931 ou il s'y rend en compagnie de W.Paul Cook, il y retournera toujours avec lui en mai 1932 pour contempler une éclipse solaire. Puis en aout 1932 avec Helen Surry. Voici ce que Lovecraft décrit dans une de ses lettres à Sam Loveman :

"Embarqué pour Newburyport, la voiture nous amena à traverser quelques-uns des paysages les plus variés de la Nouvelle-Angleterre ou commerces et fabriques n'ont pas détruit la simplicité tranquille, nous nous sommes approchés de la banlieue de Newburyport et avons  commencé à obtenir bouffées et aperçus  de la mer voisine et à apercevoir les anciennes maisons ... "
 
Si la ville, proche de Salem et  Boston, semble être actuellement une charmante bourgade touristique, il n'en n'était pas de même du temps de Lovecraft. Autrefois réputée comme port, un des ports historique lors de l'arrivée des premiers migrants, un port de pèche à la baleine important et un chantier naval de renom, la ville  tomba en désuétude du fait des guerres et du développement du trafic ferroviaire qui mettait fin à la suprématie  du commerce et du fret maritime. Lovecraft donc découvre une ville qu'il qualifie lui même de "cimetière" ou tout semble figé et ou reste beaucoup de vestiges architecturaux du 17 et 18éme siècle qu'il affectionnait tant. Il garde en mémoire ces visites et lorsque pressé d'écrire une nouvelle,  il attaque la rédaction du Cauchemar d'Innsmouth en faisant démarrer l'intrigue à Newburyport et quelque part en la faisant terminer au même endroit.

"Innsmouth (une exagération de la pittoresque et mourante Newburyport) est censé être sur la côte marécageuse un peu au sud de la réelle Newburyport." Lovecraft - Lettre a Fritz Leiber
Ce détail en embêta plus d'un, car parti de Newburyport le héros malheureux se retrouve dans le double négatif de cette ville: Innsmouth. Pour certains explorateurs (voir à la page Explorations) Innsmouth ne pouvait être Newburyport. Lovecraft il est vrai décrit un périple partant de Newburyport vers le sud en direction de Cape Ann et Gloucester non loin de Rowley et Ipswich, des lieux bien réels de l'état du Massachusetts. De plus, certaines des caractéristiques de la ville d'Innsmouth sont très loin de celles de Newburyport, ses configurations géographiques et architecturales notamment, même si certaines sont décrites dans la nouvelle, ce qui rends la tache de l'identification du lieu exact de cette ville compliquée voir impossible. Alors qu'elle était la ville qui influença Lovecraft pour créer Innsmouth? Selon Will Murray qui affirme l'avoir trouvé,  c'est Gloucester près de Cape Ann et  que visita Lovecraft comme d'autres villes de la région, selon Tani Jantsang cela pourrait être l'état de New York (ou vécut aussi Lovecraft) et une voire plusieurs de ses villes portuaires.
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Pour nous Newburyport est Innsmouth mais, aussi d'autres villes ou d'autres représentations de villes que Lovecraft visita ou même imagina, ce que nous allons essayer de démontrer. Concernant "l'épineux" problème d'un aller retour virtuel de  Newburyport vers Innsmouth double négatif de la première, cela ne nous dérange pas plus que cela. En effet ce qu'on a appelé le pays de Lovecraft, une bonne partie du Massachusetts avec les villes imaginaires de Dunwich, Arkham ou Kingsport, ce pays s'inscrit dans une région physique réelle aux caractéristiques géographiques, sociales, folkloriques très biens décrites par Lovecraft qui passa beaucoup de temps sur le terrain, dans les bibliothèques et musées locaux.  

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 De ces visites il créa de toute pièce une région parallèle et imaginaire ou le mal, la peur, cosmique pouvait éclore et dont la présence proche mais vague, de villes du monde réels rendaient leurs proximités encore plus dérangeantes. De plus la transformation du héros, humain (positif) en un être marin (négatif -  Doppelgänger) peut s'appliquer a Newburyport ville "positive" avec sa gare (communication) ses commerces (vie sociale et économique), son foyer YMCA (vie communautaire et religieuse quelque part car institution catholique), son musée et sa bibliothèque (vie culturelle) d'Innsmouth ville négative privée de tout ce que nous venons de décrire: plus de gare, de port,  de bibliothèque, ni d'école, peu de commerces, certains liés au trafic d'alcool, plus de vie "religieuse" dans le sens catholique du terme car plus d'églises remplacées par l'ordre ésotérique (donc secret) de Dagon. Quand à la vie communautaire ouverte à toutes et à tous à Newburyport, ou le héros, étranger mais loge, se nourrit, se documente grâce aux installations locales, elle est fermée à Innsmouth et au profit des seuls habitants de la ville et de leurs particularités. Le "retour" virtuel vers la même ville en ce sens n'est plus un problème, Innsmouth étant le double négatif de Newburyport comme l'être marin de la fin de la nouvelle est aussi le double négatif du héros Robert Olmstead.

Quoiqu'il en soit, dans la nouvelle, après une introduction qui précise le cadre de l'action à venir, l'intrigue débute réellement à la gare de Newburyport.

"À Newburyport, on me dit que pour Arkham il fallait prendre le train à vapeur; ce fut seulement au guichet de la gare, où j’hésitais, trouvant le billet trop cher, que j’appris l’existence d’Innsmouth..."  Le Cauchemar d'Innsmouth

En partance vers l'inconnu

La gare est le lieu ou transite les hommes, les marchandises et les nouvelles.  En 1927 pour la date effective de l'action de la nouvelle, et en 1931 date a laquelle elle a été rédigée. Il n'y eut pas beaucoup de changement a la gare de Newburryport entre ces deux dates. Le héros en s'y rendant  veut partir pour Arkham une autre ville imaginaire, mais le prix du billet est trop cher pour son budget de jeune étudiant et c'est à ce moment que l'employé va lui proposer une autre solution, lourde de conséquences, prendre le bus pour Innsmouth.

Vue nord  la route enjambe l'ancienne voie.

L'emplacement de l'ancienne gare et le tracé encore visible de la voie (source)
La gare de Newburyport est ici un paradoxe car si l'on en part rapidement grâce au train qui évite les dangers car allant vers des villes "civilisées",  notre héros lui va y être bloquée juste à cause d'un souci pécunier, (que Lovecraft connaissait trop bien), le billet coute trop cher. C'est à la gare que l'employé (véritable messager du destin) va lui conseiller un autre moyen de transport, le bus de Joe Sargent qui passe par Innsmouth. Un moyen de transport rural  et à bas prix qui évite les grands axes pour s'enfoncer là ou le train ne va pas ou ne va plus, et permettre un détour dans les profondeurs du pays.

La gare

La gare de Newburyport que Lovecraft a connu n'existe plus elle a été démolie dans les années 40 et la ville, comme Innsmouth resta longtemps sans moyen de communication ferroviaire. Elle fut reconstruite récemment au sud de la ville pour la relier à Salem et Boston. Celle que visite le héros se situait au centre ville. En 1927 pour la date effective de l'action de la nouvelle, et en 1931 date à laquelle elle a été rédigée. Il n'y eut pas beaucoup de changement à la gare de Newburryport entre ces deux dates. Un vieux plan de 1884 montre l'emplacement exact de cette dernière, encadrée au sud par Winter Street, à l'ouest par Washington Street, à l'est par Merrimac Street et au nord par Strong Street. Mais plus important, l'état des lieux de la ligne de chemin de fer et son histoire donne de précieuses indications sur la région ou se déroule l'action. Encore une fois Lovecraft est parti du réel pour doucement glisser dans le fantastique et l'imaginaire.

Plan de la ville de 1884 (source The Preservationist)
Il reste peu de photos de cette gare originale si ce n'est sur des cartes postales pour collectionneurs:
La vue arrière de la gare vers 1900, coté est.
La même vue toujours aux alentours de 1900
Vue du Sud vers l'entrée du tunnel vers 1900
Vue du haut du tunnel sur High Street toujours aux alentours de 1900, au loin la gare.
Vue de face de la gare, l'ouest est donc à gauche, vers 1900

Une autre vue prise du même endroit.

Une vue du quai et de la gare a droite.

Le texte de Lovecraft offre peu d'indications sur la gare et sur l'employé. Est ce le chef de gare? La conversation a t'elle lieu a l'intérieur ou a l'extérieur?  A nous de l'imaginer. La gare est petite mais il semble y avoir une salle d'attente et peut être un comptoir de vente de billets  comme le montre les agrandissements ci-dessous.
 



Une autre vue

On peut donc supposer que la conversation  a eu lieu a l'intérieur, le héros désirant acheter un billet. Mais cela  a peu d'importance finalement, car en sortant de la gare le destin du héros est scellé.

jeudi 17 février 2011

Robert Olmstead

Un héros sans nom

Le héros torturé du Cauchemar d'Innsmouth a eu un nom. Je dis bien: a eu, car ce nom ne put jamais franchir les  pages d'un brouillon ou il resta des années durant. Lovecraft préféra ne jamais le nommer dans la nouvelle.  Pourquoi pas? Mais alors pourquoi nommer avec beaucoup de détails toutes les autres personnes, donner le nom des bateaux du capitaine Marsh, le nom précis des rues, le nom de l'endroit ou  vivait le héros, ou il passa ses études et toute sa généalogie détaillée? Procédé bizarre,  ou le héros n'est pas décrit de l'extérieur, il se décrit lui même, de "l'intérieur" étant le narrateur, surement voulu par l'auteur qui finalisa 2 ou 3 brouillons tout de même, mais qui laissa le héros sans nom au final quand la nouvelle fut publiée. 

Dans quel but?

Le héros de cette nouvelle, comme pas mal de héros,  voire tous les héros, des livres de Lovecraft, lui ressemble par bien des aspects. Il fête seul sa période de fin d'études (être social , Lovecraft  fut quand même lyu aussi un solitaire),  et parcours la Nouvelle Angleterre à la recherche de monuments architecturaux intéressants et pour compléter sa généalogie (comme Lovecraft). Là on se dit qu'on a affaire au premier de la classe et le personnage perds un peu en crédibilité, mais continuons. Un peu serré au niveau budget, le héros (appelons-le par son nom de brouillon: Robert Olmstead.) dort à l'YMCA, (auberge de jeunesse locale) mange frugalement dirons nous, et dépense peu pour les transports préférant les bus aux trains; une fois encore: comme Lovecraft. Coté habillement ce n'est pas mieux car quand le héros se déshabille à la pension Gilman on apprend qu'il à un chapeau et un faux col et surement une cravate, en plein mois de juillet!  Le "jeune" homme ressemble plus à un vieux garçon et à... encore à Lovecraft lui même. Pourquoi alors ne pas le nommer comme furent nommés Randolph Carter, Herbert West, Charles Dexter Ward, etc.


Peut être parce que au final le héros est un Marsh, du moins un de ses descendant et que bientôt il n'aura plus forme humaine et donc pas de nom humain. Peut être parce que l'histoire de Robert Olmstead touche d'un peu trop prés Lovecraft lui même. Maurice Levy dans sa thèse sur Lovecraft (Lovecraft ou du fantastique, éditions 10-18, 1985) en parle très bien : "L'univers fantastique de Lovecraft est aux dimensions mêmes de son psychisme, obéré de complexes. Un psychiatre trouverait surement dans ses lettres d'alarmants indices de névrose, qu'il saurait interpréter, codifier: certains signes n'échappent pas même au plus naïf des lecteurs." Un peu plus loin Maurice Lévy met en garde contre toute lecture de Lovecraft qui serait "seulement" psychiatrique ou psychanalytique. Un homme ne peut se résumer seulement à la somme de ses névroses, supposées ou  réelles, mais pour le coup ces dernières influences indubitablement son œuvre, tout en ne la recouvrant pas entièrement.

L'épouvantable hérédité

Le thème de l'hérédité est récurrent chez Lovecraft. S'il est courant pour tout américain bien nanti de retrouver ses origines anglo-saxonnes (nobles de préférences ou rattachées aux premiers pèlerins ou mieux aux pères fondateurs du pays),  pour Lovecraft, cette marotte ou hobby avait une signification supplémentaire. Son père atteint de syphilis dut être hospitalisé et finit ses jours, fou dans un asile, comme un de ses cousins proches atteint de la même maladie. Si il y a quelques nobliaux dans la famille paternelle de l'écrivain il y a aussi pas mal de cas de folie ou de suicide. La famille maternelle est plus solide, mais sa mère fut surement atteinte par la maladie de son marie et sombra dans une sorte de délire en pensant que son fils pouvait avoir été infecté. Elle finit elle aussi ses jours à l'asile. On le voit, tous les ressorts de la nouvelle sont en place. Lovecraft eut il connaissance  de la véritable cause de décès de son père? Intelligent comme il l'était et curieux, comme le sont tous les enfants  il y a de fortes chances que oui,  malheureusement à terme cela signifiait qu'il comprenait qu'il existait un risque que lui même soit atteint à son tour.

Question généalogie, dans ses lettres il parle surtout de la branche maternelle (celle qui ne fut pas "infectée" et qui l'éleva) et reste vague ou très en dessous de la vérité concernant la branche paternelle. Alors Olmstead = Lovecraft? Rien n'est moins sur. Il y a inévitablement une part de Lovecraft dans Olmstead. la façon dont il s'habille, ses centres d'intérêts, sa manière de parler ou de gérer l'argent comme de réagir face à des situations. Puis il y a d'autres éléments ou des pans de l'histoire personnelle de Lovecraft semblent se mélanger. Le père de Lovecraft fut atteint de la syphilis mais avant lui son propre cousin (ils avaient travaillés ensemble) et ce dernier fut interné dans un asile ou ils mourut. La syphilis de son père était de type dégénérative entrainant de graves lésions cutanées. des déformations. Lovecraft alors enfant ne vint jamais le voir, mais sa mère peut être, elle déclara souvent à qui voulait l'entendre que son fils était laid et difforme. Ces éléments sont tous dans la nouvelle, ou pourrait citer aussi l'intérêt du héros pour la tiare et faire un rapprochement avec son père qui fut représentant en orfèvrerie. la nouvelle aurait enchanté le Dr Freud si il avait eu Lovecraft comme patient et qui détestait la psychiatrie en général et Freud en particulier. Le thème de la souillure (sexuelle même si elle n'est pas forcément implicite dans tous ses écrits) et de la malédiction héréditaire reste au cœur même de l'œuvre de Lovecraft et l'on sait maintenant pourquoi.

Olm-Stead

Le nom du héros est même une possible explication quand à l'énigme de sa généalogie et de son mal. On a d'abord le mot Olm qui est une sorte de salamandre blanche dite salamandre des grottes de la famille des tritons aussi appelée Proteus ou Protée.  Découvert en 1689, il s'agit d'un animal cavernicole donc, et le plus grand prédateur des fonds souterrains. Vivant dans l'obscurité la plus totale il a perdu la vue et a développé d'autres facultés lui permettant de se déplacer et de se nourrir. Le Protée a été utilisé par Charles Darwin dans son célèbre ouvrage: L'origine des espèces,  comme un exemple de la perte de facultés due aux modifications des conditions de vie. "Comme on le voit chez le Protée aveugle, par rapport aux autres reptiles actuels de l’Europe, je suis surpris, au contraire, que des restes plus nombreux de la vie ancienne ne se soient pas conservés dans ces sombres demeures dont les habitants ont dû être exposés à une concurrence moins sévère." On est en pleine explication de la vie (possible) de ceux des profondeurs.


Un Proteus ou Olm
Stead signifie quand à lui: à la place, au lieu de quelqu'un ou de quelque chose. Olm-stead c'est donc le protée "à la place" de l'humain, qu'est le héros de la nouvelle. A noter aussi que le syndrome de Protée est une maladie génétique comprenant des malformations tissulaire d'aspect tumoral de tailles importantes appelées hamartomes. Elle se manifeste dès la naissance et les hamartomes grandissent au cours de la vie. Le fameux Elephant man immortalisé par le film de David Lynch souffrait surement de cette maladie dégénérative. Lovecraft avait il conscience de ces faits en créant le personnage de Robert Olmstead (un nom répandu aux États-Unis). Rien n'est moins sur mais les explications ci-dessus collent à merveille avec ce que le héros va découvrir et la propre vie de Lovecraft et de ce qu'il avait peut être découvert sur ses origines. Quoi qu'il en soit ce nom ne fut jamais divulgué et resta à jamais écrit dans un manuscrit.

Le fameux Elephant man atteint du syndrome de Protée

Inns-mouth

Innsmouth devient, à la lumière de ces quelques événements donc,  une nouvelle à tiroir ou le héros est un double de Lovecraft mais aussi peut être de son propre père et ou des pans de l'histoire familiale apparaitraient sous forme stylisée, ou symbolique. Une manière pour Lovecraft d'exorciser le mal par l'écriture et de parler à "découvert" ce que son éducation et ses mécanismes de défenses ne lui permettait pas de faire en public.

vendredi 4 février 2011

Tani Jantsang

Une sataniste au pays d'HPL

Entre 1975 et 1979 Tani Jantsang entreprendra en voiture plusieurs voyages sur la côte Est prés de Newburyport pour identifier le site d'Innsmouth. Tani est une dame assez connue de l'autre coté de l'atlantique car étant prêtresse de l'église de... Satan. Son intérêt pour Lovecraft provient des rapprochements qu'elle perçoit entre le mythe dit de Cthulhu et ses créatures et le satanisme (par rapport au christianisme) et avec elle pas mal d'ésoteristes, cabalistes, nécromanciens et autres mages pour qui l'œuvre de H.P.L est un prolongement, une ramification de doctrines secrètes voire LA doctrine. Rajoutez à cela le fait établi et prouvé, que le grand-père de Lovecraft était un franc-maçon et on se met à nager alors dans le bizarre voire le très étrange quand à ce qui serait réellement écrit ou plutôt décrit aux initiés dans les livres de Lovecraft. On n'adhère ou pas, mais reconnaissons à la dame une belle écriture, une connaissance approfondie de l'œuvre du maitre de Providence, et le sens de l'humour.

On the road again

Entre deux messes noires elle entreprend même quelques voyages en Wolskwagen Rabbit (ce sont les années 70 et les satanistes ont aussi droit aux vacances) à la recherche d'Innsmouth. Le récit de ce voyage fut publié dans le magazine semi professionnel dédié au fantastique: Eldritch Tales

Fait inestimable, Jani prit des photos de ses voyages en couleurs, elles furent publiées dans le magazine mais en noir et blanc seulement. Il fut créé un site quelques années plus tard quand internet se développa pour les y déposer. Malheureusement ce site n'existe plus ou du moins partiellement, (Trip_to_innsmouth) mais les photos elles, n'y étaient plus. Heureusement il y a Wayback Machine d'Internet Archive, un outil merveilleux qui garde en mémoire les sites disparus. Et les photos y sont toujours visibles: http://web.archive.org/ avec le lien en haut de la page.

Inestimable, car ce paysage, Tani le dit elle même, sur une courte période de trois ans seulement, disparait ou se transforme, inévitablement. C'est donc une archive d'un paysage déjà transformé mais encore ressemblant à ce qui est décrit dans la nouvelle que nous livre Tani  Jantsang.


"Dans aucune ville de la Nouvelle-Angleterre on ne peut trouver une mise en place des rues comme dans "Le Cauchemar d'Innsmouth." Tani Jantsang
Un début classique

Le voyage commence, comme dans la nouvelle, devant le drugstore dans State Street. Tani apprends que dans le temps il y avait devant le drugstore (toujours existant mais qui ne s'est jamais appelé Hammond) un arrêt de bus vers Salem (donc Arkham qui est son double Littéraire), Lovecraft décrit des choses vues et vécues lors de son voyage à Newburyport. A un moment  Tani "dévie" du chemin (fictif, rappelons le) de la nouvelle: "HPL liste ces sites rapidement dans ses phrases, cependant ils sont assez éloignés les uns des autres. HPL affirme que le bus dévie de la route principale qui va de Rowley à Ipswich. La Route A1 va de Rowley à Ipswich. Mais Innsmouth, est entre Arkham et Newburyport; Ipswich est plus à l'intérieur des terres et Ipswich et Rowley sont tous les deux, sont au nord d'Innsmouth. Le bus de Sargent ne vire pas avant d'entrer dans Rowley; il vire de la route qui y va, il vire de la Route 1A et va dans les alentours de Cape Ann. la seule route faisant cela est maintenant est la 133 East." 

Lé départ devant le drugstore dans State Street à Newburyport.
 Concrètement cela fait entrer Tani dans la ville de Gloucester, non citée dans la nouvelle mais qui pour pas mal d'"Innsmouthmaniaques" EST Innsmouth. Et c'est les alentours de cette ville qu'elle décrit et photographie, mais qui selon elle ressemble plus aux paysages décrits dans la nouvelle: le Festival, que celui du Cauchemar d'Innsmouth.


Une hypothèse audacieuse

Là ou Tani Jantang  se singularise des autres explorateurs, c'est dans l'endroit supposé de la ville d'Innsmouth:

"Je vais expliquer ici ma théorie sur la mise en place des rues par HPL dans le "Cauchemar d'Innsmouth," et tracée par nous en fonction de l'histoire. Tout au long de la partie nord-est de la Nouvelle-Angleterre, dans chaque ville portuaire, les villes correspondent à Newburyport, Gloucester ou Marblehead - belles maisons ici ou , les pourris ici ou . Ancien ou nouveau tout mélangé.  Dans aucune ville de la Nouvelle-Angleterre on ne peut trouver une mise en place des rues comme dans "Le Cauchemar d'Innsmouth."  

HPL est resté à New York,, et connaissait des gens dans le New Jersey.  Dans toutes les villes portuaires de la zone du New Jersey et de New York vous trouverez à coup sûr le tracé exact de la ville d'Innsmouth: le front de mer à une extrémité, avec  des taudis sordides , «racialement mélangé» de gens venant d'un quelconque et nouveau groupe ethnique, des gens perpétuellement ivres, des gens dangereux défendant leur territoire, etc. En allant plus loin dans les terres vous trouverez la partie principale de la ville; tous les grands magasins sont là. Toutes les rues rayonnent vers l'extérieur de ces "places de la ville."Il y a toujours un chemin de fer qui part de , et tous les bus de n'importe où, y compris d'autres États partent également de . Les hôtels sont , tout est . Ensuite,en s'éloignant du front de mer vous montez dans vos beaux quartiers jusqu'à ce que finalement, à l'extrémité opposée de la ville, vos banlieusards riches vivent. Si Innsmouth avait été Newark, NJ, par exemple, vers 1960, la zone vous auriez trouvé tous les sangs mêlés Profond/Humains seraient en fait habités par des Noirs/Portoricains/ethnies diverses, parfois mélangés avec des "blancs" (à l'époque, des Wasps). Les bâtiments barricadés, ruinés, détruits, seraient la zone noire, en particulier après les émeutes (Newark à vécu une émeute si mauvaise que les tanks vinrent dans la "place de la ville" dans la zone du centre commercial). Le chemin de fer est Penn Central. Près des riches demeures des Marsh, Waite et  Gilman serait en fait votre section nord de Newark, riche, et  tout à fait blanche Wasp. Plus loin à l'intérieur des terres est  votre zone d'immigrants polonais, bien entretenue, propre; une banlieue, qui est loin d'être aussi riche que la classe Wasp mais confortablement "classe moyenne".  

Idem, idem, idem pour toutes les autres villes portuaires du temps HPL  jusqu'aux années 1960! Il doit avoir fondé cette idée sur son séjour à New York ou peut-être même le New Jersey, parce que pas une ville portuaire en Nouvelle-Angleterre correspond à cette tendance, pas même Providence, Rhode Island. (En ce qui concerne le Plan d'Innsmouth Carlson. Eric et moi même avons fait la carte originale d'Innsmouth montrant chaque rue et chaque lieu unique mentionnés dans histoire originale sur la ville, incluant même la numérotation des blocs de maisons . C'est la carte sur laquelle toutes les autres cartes ont été créées. Elle a été publié par Chaosium dans"Fragments of Fear the Second Cthulhu Companion" avec nos noms dessus, mais aussi avec le nom de Carolyn Schultz, qui n'avait rien à voir avec cette carte, en premier lieu. Quand elle copié notre travail, elle fait une erreur avec les  pont de Washington et Main Street !)." (copyright P.Marsh)

La carte "mère" du jeu de Chaosium.
 Conclusion

Ne connaissant pas la cote Est des États-Unis il m'est difficile de me prononcer sur les assertions de Tani Jantsang quand à la possibilité que le modèle de ville qui aurait servi à décrire Innsmouth soit celui d'une ville du New Jersey ou encore de l'état de New York. Par contre connaissant l'histoire de H.P. Lovecraft il est vrai que son séjour désastreux à New-York et le fait que le Cauchemar fut écrit à son retour à Providence, me laisse à croire que Tani à "un peu" raison. Pas tant sur le lieu exact de la ville d'Innsmouth qui n'existe pas, mais plus sur le fait que le Massachusetts et ses villes serait un endroit rêvé et beau et que la décadence serait une image projeté de la propre "décadence" de Lovecraft pour essayer, en vain,  de vivre une vie normale en se mariant et en trouvant un travail à New York et ses environs et les villes "pourries" qui s'y trouvent. Un raisonnement peut être inconscient pour Lovecraft, rappelons tout de même que Lovecraft décrit Newburyport qu'il cite comme source d'inspiration de la ville d'Innsmouth comme pas mal abimée, voire morte quand il la visite dans les années 20/30. Le mérite de Tani Jantsang, même en  se livrant à un tourisme Lovecraftien de bon aloi est de donner une autre explication à la naissance de cette ville et le lieu le plus exact ou elle est censée se trouver, ce serait en fait, l'imagination de l'auteur même.

Une piste à suivre...