lundi 13 octobre 2014

A Paris Lovecraft vit... Une redécouverte américaine - Episode 2

J'avais dans un article précédent parlé de la "re-découverte" de Lovecraft à Paris par un jeune étudiant américain, originaire aussi de Providence, Paul Michaud et qui de retour au pays allait fondé avec son jeune frère Marc, la fameuse maison d'édition Necronomicon Press



Paul nous a écrit pour nous donner un complément d'information qui intéressera tous les fans:

«Ce que vous avez découvert, et "ressuscité" n'est qu'une petite partie de l' histoire originale, acquise dans un premier temps par Jann Wenner du Rolling Stone Magazine puis plus tard par la critique de livres du New York Times (qui a perdu les négatifs que je leur avait envoyé), qui, au final ne l'ont pas publiés. Plus tard ce fut August Derleth qui, si je me souviens bien, a utilisé quelques photos que j'avais eu la bonne idée de faire tirer avant d'envoyer les négatifs. Ce qui a été publié dans le Evening Bulletin n'est qu'une pâle reflet de mon article originel qui contenait, entre autres, une plus grande partie de l'interview que j'avais obtenu de Jacques Bergier, qui a passé des heures avec moi dans son bureau des Champs-Elysées au cours du mois de d'Août 1970 (par ailleurs, des années plus tard, lorsque Louis Pauwels, exécuteur littéraire de Bergier qui est également devenu un ami, a remis les archives de Bergier à la bibliothèque publique de Saint-Germain-en-Laye, j'ai remarqué que l'enveloppe marquée par Bergier comme contenant sa correspondance avec Lovecraft", était ... vide). Quant à "compléter" la version de mon histoire, il y a quarante les ordinateurs personnels n'existaient pas et il n'y avait aucun moyen de mémoriser ses écrits, en dehors de l'utilisation, sur une machine à écrire, de papier carbone, ce que je n'ai malheureusement pas fait à l'époque.

Je ne me souviens que l'original a été tapé sur de grands bon à tirer de l'Evening Bulletin. J'avais été leur correspondant quand j'étais lycée, aux côtés de sommités comme le romancier Lesley Horwitz, ou encore l'acteur James Wood, et je savais qu'ils allaient prendre tout ce que j'avais été incapable de vendre sur le marché des grands journaux. Il est possible que mon frère Marc Michaud, qui a repris le flambeau de Necronomicon Press à la fin des années 1970, a ces bon à tirer dans ses archives, mais étant donné ses constants déplacements, les inondations et autres catastrophes, auxquelles il a été confronté ces dernières années, je doute qu'il sache ou se trouve l'article original et mes notes.

Par ailleurs, mon seul contact avec Lovecraft jusqu'à ma première visite à Paris en 1970, fut par le biais de Ted Klein, à qui j'ai succédé en 1969 comme rédacteur en chef du Brown Daily Herald , le journal étudiant de l'universite de Brown (Providence), et qui avait écris un magnifique morceau Lovecraftien : "Les événements de ferme Poreth», que Necromicon Press réimprima plus tard, et qui apparu à l'époque dans l'une des collections annuelles de meilleurs écrits de Fantasy.

Ted durant ses dernières années à Brown vivait en colocation (avec 9 colocataires!) dans un appartement à Thomas Street ( Providence), qui figure en bonne place dans un conte de HPL (The Camm of Cthulhu). C'est aussi grâce à Ted que j'ai pu rencontrer un très jeune écrivain également très influencé par Lovecraft, et non encore publié à l'époque: Stephen King. Lui et Ted, objecteurs de conscience, enseignaient ensembles l'anglais dans une école du Maine, et ce afin d'éviter d'être envoyé au Vietnam – une chance pour eux – . J'espère que ces renseignements vous aideront. Je vous envoie également une copie de l'article en français que j'ai fait il y a six ans à l'occasion de la mort d'un autre expert Lovecraftien : Francis Lacassin, qui est devenu une sorte de grand frère pour moi et qui pendant mes années en France m'a aidé à faire mon chemin dans un monde littéraire assez complexe.

Toutes mes meilleures pensées pour vous deux (Kate de la Providence Public Library qui m'a envoyé l'article de Paul et moi même donc) et merci encore pour avoir déterrer mon travail et de lui donner une importance dont je ne soupçonnais pas l'importance! »

En exergue l'article sur Francis Lacassin (1931-2008) qui fut lui aussi un des grands artisans du succès de HPL en France et tous mes remerciement à Paul pour nous faire partager cette page d'histoire sur la (re)découverte de HPL des deux côtés de l'océan.



Francis Lacassin – une appréciation par Paul Michaud

Décédé à Nice très discrètement le 12 août 2008, Francis Lacassin était un « touche-à-tout de génie, » comme le disait Christine Albanel dans l’hommage qu’elle lui a rendu le surlendemain. 
 
Éditeur, écrivain, scénariste de Franju et Simenon, auteur de plusieurs milliers de préfaces, responsable d’avoir fait connaître en France l’ œuvre de Jack London, Francis était entré dans ma vie il y a presque 40 ans, et ceci afin de ressusciter pour la France la vie et l’œuvre d’un autre grand auteur Américain mal connu, Howard Phillips Lovecraft, né comme moi, à Providence, la ville où mon jeune frère et moi avions fondé une maison d’édition, Necronomicon Press, destinée à rééditer toute l’œuvre de Lovecraft et le faire connaître à travers le monde, un travail de bénédictin qui a servi comme base au projet de Francis d’éditer en 1991 les Œuvres de Lovecraft dans la collection Bouquins chez Laffont. 
 
Ce qui était une passion est devenue pour Francis une obsession. Un des projets dans lequel il croyait le plus, et qu’il tenta de réaliser avec persistance les vingt dernières années de sa vie, fut de photographier tous les endroits au Rhode Island associés à « HPL, » comme on dénommait assez familièrement le sage de Providence, Francis ayant eu un bon souvenir d’un autre ouvrage, fait dans le Far-West américain quelques années auparavant, où il avait pu photographier des endroits aussi fascinants qu’insolites. Il est dommage que l’ouvrage sur Providence ne s’est jamais fait car s’il existait un auteur pour un tel ouvrage, c’était sûrement Francis, qui nous aurait fait apprendre des choses sur une personne et un endroit dont même moi je croyais tout connaître. Il avait cette perception percutante des choses, une vision qui perçait les convenances et autres masques et sut voir derrière les apparences, ce qui rendait ses ouvrages fort pertinents.

Dix-sept ans plus âgé que moi, il fut une sorte de grand-frère, m’ouvrit des portes partout où je le désirais, partout où il le voulait : auprès de Georges Simenon et sa famille, Alain Resnais, Léo Malet, Boileau et Narcejac, parmi des douzaines d’autres personnalités. Je me rends compte que j’étais un des derniers récipiendaires d’une de ses lettres, et ceci à quelques semaines de sa mort – une mort qui me surprenait car Francis ne donnait pas l’impression d’être en train de mourir. Déjà, j’avais été auprès de lui en 2001 ou 2002 quand il recevait une lettre de la Salpêtrière lui apprenant l’existence d’un problème avec ses poumons, mais positif tel qu’il fut pendant si longtemps, Francis prenait ces nouvelles avec courage, et quand il m’écrivit récemment – ceci à l’occasion du décès de ma propre mère, une femme qu’il appréciait - c’était pour me donner l’impression que sa maladie était derrière lui, qu’il pensait entamer de nouveaux projets, surtout de vendre son grand appartement du boulevard Jourdain pour louer un petit studio à Paris, ceci pour entreprendre une vie plus mondaine qu’il pu poursuivre à Nice. Il m’annonça même la publication prochaine d’un Alexandre Dumas inattendu, dans lequel il consacrait un chapitre au Château de Monte Cristo, situé pas très loin d’où j’habite à Marly-le-Roi. Il appréciait surtout les marginaux, ceux qui ne ressemblaient pas aux autres ; c’est dans ses mémoires que j’ai appris que s’il m’estimait c’est parce que, pour lui, j’étais – tout comme Christian Bourgois - un « universitaire défroqué, » car j’avais décidé un jour d’abandonner un poste prestigieux d’enseignant à Harvard pour venir en France rechercher mes racines - aussi prendre la nationalité française - et faire la connaissance de Francis Lacassin. 
 
Ce qui me frappait surtout chez Francis c’était sa simplicité, disponibilité et générosité, sa bonhomie, un enthousiasme pour la vie qu’il sut communiquer aux autres : comme l’héros d’un roman qu’il voulait que je traduise pour la France, Mr Blue de Myles Connolly, « he made others friendlier » il rendit les autres plus sympathiques.  En bref, pas seulement il aimait son prochain, il voulait que son prochain aime les autres. Je ne pense pas l’avoir jamais entendu dire le moindre mal d’une autre personne, même quand ces autres le trahissaient, ce qui lui arrivait trop souvent. Je pourrais même dire, comme le faisait un autre ami commun, François Truffaut, écrivant sur le mort d’André Bazin, qu’il fut un homme «d’avant le péché originel. » 
 
Francis était très proche de son enfance, surtout fier de son adaptation de Maigret et l’Enfant de Chœur pour Jean Richard, m’affirmant que l’enfant de chœur en question lui ressemblait autant que Simenon. Je pense, voire, qu’on pourrait attribuer à Francis les mots de Georges Bernanos, qui déclarait, en 1948: « Qu’importe ma vie, je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus. »